La Carretera Austral

La Carretera Austral, c’est cette route reliant l’extrême sud chilien au reste du pays. La plupart des tronçons ne sont pas encore bitumés, les plus récents ont été ouverts il y a moins de 10 ans. Auparavant, la plupart des villages de cette partie du Chili n’étaient accessibles que par bateau, via le Pacifique. Encore peu connu des circuits touristiques, ce tiers sud du Chili propose une nature intacte, des montagnes enneigées, des vallées encaissées, des glaciers… Et les transports publiques étant sporadiques, le pouce reste la meilleure façon de faire ces quelques 1000 km.

Des villages isolés
Nous sommes arrivés par le sud, après deux jours de marche pour passer de El Chalten en Argentine, à Villa O’Higgins au Chili, aucune route ne reliant ces deux villages. Villa O’Higgins, c’est là que la Carretera Austral finit et que commence notre remontée vers le nord. Je dois dire que c’est un endroit sans beaucoup d’intérêt : un aéroport militaire longeant des maisons en tôles et des habitants pas très causants, nous ne nous attarderons pas. Juste le temps d’un « asado » (BBQ) improvisé avec des étudiants de Santiago qui tentent en vain l’avion-stop avec les militaires. Adolfo se joint à nous. Son père fut le premier colon de Villa O’Higgins et lui, le premier natif. Tout un personnage avec son chapeau en cuir, ses bottes et son œil crevé. Il vit avec et des chevaux et jure qu’il ne quittera jamais ce coin de terre. Le lendemain, départ pour le nord, paysages superbes : montagnes enneigées, rivières au fond des vallées, route de gravelle serpentant le long de falaises abruptes, traversée d’un lac en barge, c’est encore mieux que ce que nous imaginions.

La Calleta Tortel est une vingtaine de kilomètres à l’écart de la route principale qu’il faut bien souvent faire à pied, vu le peu de véhicules l’empruntant. Tortel est un village particulier : posé dans une baie contre le Pacifique, il n’y a pas de rue, pas de routes, les maisons sont reliées entre elles par tout un système de passerelles et d’escaliers en cyprès. L’activité principale est la pêche, mais malgré la beauté de l’endroit et la nouvelle route, les gens nous disent s’ennuyer et se sentir toujours reclus, oubliés du reste du pays. Et c’est vrai que Tortel, un jour de pluie (et il pleut très souvent !), avec ses pontons glissants et toutes ses maisons fermées, c’est triste. Nous reprenons la route après deux jours de ce traitement. Deux allemandes étudiantes a Santiago nous ayant parlé d’un endroit sur les bords de la rivière Baker qui était un véritable paradis pour la pêche à la truite, nous nous dirigeons donc vers Puerto Bertrand, l’eau à la bouche.

L’endroit est superbe, nous campons le long d’une rivière turquoise, mais malheureusement, je ne fus pas capable de prendre la moindre truite, un fait assez incroyable à en croire le regard incrédule des gamins du coin. Mais nous avons réussi tout de même à en manger chez une famille qui s’est installé ici il y a cinq ans. La vie n’est pas facile pour eux : ils ont arrangé leur terrain pour accueillir les campeurs, Madame a pris des cours de cuisine, mais les clients se font attendre, et l’isolement n’est pas toujours facile à supporter.

Nous continuons notre périple vers le nord, toujours sur le pouce. Après Coyhaique, la ville la plus importante du coin, un chauffeur routier nous prend pour une cinquantaine de kilomètres, il monte toutes les semaines de Coyahaique à Santiago, mais fait le reste de la Carretera par bateau, la route n’étant pas adaptée aux poids lourds. Il nous laisse en pleine campagne, à un croisement, en nous offrant un paquet de biscuits pour attendre… Au croisement, on rencontre Francisco, un marchand de bois, la lengua locale est très recherchée pour les meubles. Il attend aussi depuis une heure qu’une voiture veuille bien passer, en attendant ensemble, il nous explique comment fonctionne le business du bois.

A l’arrière des camions
  Un pick-up passe : une famille chilienne en vacances, nous grimpons à l’arrière jusqu’au prochain village. Le temps d’un repas, nous rencontrons Octavio, un ancien habitant de Santiago vivant dans le sud depuis cinq ans. Il travaille dans les élevages de saumons, la seconde industrie locale, et nous explique qu’il est plus facile de trouver un emploi bien rémunéré ici, car il y a peu de candidats. Aujourd’hui, il remonte vers Santiago pour ses vacances annuelles. Comment trouve-t-il sa vie ici ? « On s’habitue… »

C’est un jour propice pour le pouce, nous enchaînons les bennes des camions et des pick-ups toute la journée. Moyen de transport pas des plus confortable et très poussiéreux mais excellent pour profiter du paysage. Après un dernier pick-up, un vétérinaire pressé sans aucune pitié pour nos fesses, nous arrivons le soir à Puerto Cisnes, village de pêcheurs au fond d’une baie, d’où nous avait on dit, un bateau partait peut-être le lendemain vers le nord. Il y avait bien un bateau, mais il venait de partir, le prochain serait dans une semaine. Tant pis, on continue par la route, et le détour valait de toute façon le coup : on a mangé un congre excellent !

Plus que 300 km, et pas des plus faciles : les véhicules se font rares, on passe le temps en jouant à la pétanque avec des cailloux, en faisant la sieste au soleil sur le bord de la piste, en tentant vainement de nous rapprocher de notre destination finale (Chaiten). A la place, on campe dans un parc en ayant du mal à trouver quelque chose à manger. Les termes attendront le lendemain ; nous ne sommes plus à 24 heures près pour nous dépoussiérer.

Article paru dans Pax Nouvelles (ex. Express Voyage) le 3 avril 2006.

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