Les plages du nord du Brésil

J’avoue que ce n’est pas très sympathique de ma part de vous parler des plages du Nord du Brésil en cette période, mais voyons le bon côté des choses, cela pourrait vous donner des envies pour vous échapper un peu du froid…

Nous avions une idée assez idyllique de ces plages de sable blanc s’étendant sur des kilomètres, paysage uniquement bouleversé par des palmiers ou quelques dunes. Dans nos rêves, il y avait une petite cabane de pêcheur posée à quelques mètres de l’océan, et pas trop de voisins… Les premiers endroits où nous nous sommes arrêtés étaient loin d’être désagréables mais les bars et restaurants les pieds dans l’eau nous rebutaient un peu. Nous avons persisté dans notre recherche, et nous avons fini par trouver ! À trois heures de route au sud de Fortaleza, sur la côte du Ceara, nous sommes arrivés à la Prainha do Canto Verde. C’est un petit village de pêcheurs de 1700 habitants, les rues sont en sable, aucun hôtel de luxe ou complexe touristique; sur la plage, des dizaines de Jangadas (le bateau de pêche traditionnel de la région) et quelques maisons de pêcheurs à louer.

Une communauté

Le village vit en communauté et l’activité principale est la pêche qui s’effectue toujours de façon traditionnelle. Les langoustes sont pêchées à une certaine période, dictée par la communauté, afin de préserver les ressources naturelles. Le reste de l’année est consacré au poisson, beaucoup moins lucratif. Le tourisme est une activité annexe, dont les revenus sont redistribués au sein du village. Depuis quelques années, sous l’impulsion de René Schärer, ancien directeur de Swiss Air pour le Brésil (ça mène à tout de travailler pour une compagnie aérienne !), un tourisme écologique et communautaire voit le jour, qui à la différence de nombreux autres endroits de la côte brésilienne, vise à préserver les valeurs, traditions et ressources naturelles de la Prainha.

Une idée du Paradis

Notre maison, plus qu’une cabane, est assez particulière: toute ronde, les murs intérieurs peints de dauphins, requins, raies et autres poissons nous donnent l’impression de vivre sous l’eau. Il n’y a pas de fenêtres, juste des volets qui laissent passer le vent du large et à 10 mètres, c’est la plage avec son eau juste fraîche comme il faut. Pour manger, il suffit d’aller voir les bateaux de retour et on achète le poisson directement au pêcheur. Un petit restaurant tenu par Laila, excellente cuisinière, permet aussi de goûter des spécialités locales, dont la moqueca (casserole de poissons ou fruits de mers cuits dans du lait de coco et de l’huile de palme, un plat qui vaut le voyage à lui seul). Il faut juste prévenir quelques heures auparavant car il y a de fortes chances que l’on soit le seul client.

Les journées commencent tôt: vers cinq heures les jangadas sont mises à l’eau, roulées sur des troncs de cocotiers, poussées par 6 hommes, les « roladeros », qui sont payés en poissons. Ces bateaux de 5 à 6 mètres en bois, au pont plat et avec une grande voile pèsent plus de 500kg. Ils nécessitent au moins trois hommes pour les manœuvrer. Matins et soirs, les départs et retours des jangadas sont la principale animation de la journée à laquelle assiste une bonne partie du village.

À la pêche

Les conditions de travail des pêcheurs en jangadas sont très dures. Ils restent au large trois à quatre jours, avec comme seul abris de la mer et du soleil, l’intérieur de la coque, haute de 50cm. D’ailleurs, la communauté construit depuis deux ans des catamarans: plus légers et maniables, ils permettent aux pêcheurs de continuer leur métier avec plus de sécurité et facilité que sur les jangadas. À ce jour, deux catamarans de huit mètres et un de quatre mètres sont sortis du petit chantier naval local.
À force de voir partir tous ces bateaux vers le large, cela m’a donné envie d’accompagner les pêcheurs. Je serais bien parti sur une jangada, mais passer trois jours en mer me semblait trop long pour une première expérience. Un matin, le capitaine du petit catamaran m’a proposé d’embarquer. Il partait pour deux jours avec son fils et un apprenti de douze ans et il lui restait une place.

Il faut une journée complète de voile pour atteindre le secteur de pêche : une faille d’une trentaine de mètres de profondeur à trente kilomètres des côtes. Si quelques pêcheurs ont un GPS, la plupart n’ont ni carte ni boussole, ils se dirigent à l’estime une fois que la côte n’est plus visible. Il y avait déjà plusieurs jangadas du village en train de pêcher quand nous sommes arrivés. Une fois ancrés, la pêche commence tout de suite. Le matériel est simple : 40 mètres de fil de nylon, un plomb, deux hameçons avec des bouts de poissons comme appât, pas de canne, on tient le fil entre ses doigts pour sentir quand un poisson mord. L’espace est restreint sur le pont et on a beau se mettre chacun à une extrémité du bateau, il est facile de s’emmêler quand plusieurs pêcheurs remontent leur ligne en même temps.

Avant que la nuit tombe, les premiers poissons pêchés nous ont servi de repas. Il y avait beaucoup de vent, des vagues de quatre mètres, et il me semblait que faire bouillir une gamelle d’eau au-dessus des flammes d’un brasero, posé sur le pont d’un bateau en bois n’était pas très raisonnable. Mais la soupe a cuit sans incident. Le menu en mer est toujours le même : du poisson bouilli dans de l’eau salée, accompagné de « farinha », une farine de manioc que l’on trempe dans le jus du poisson pour en faire une pâte. C’est nourrissant.

Pour dormir, on se faufile à tour de rôle dans les coques. J’ai pris mon premier quart sur le pont, enroulé dans une voile, « bercé » violemment par les vagues et trempé quand les plus grosses déferlaient sur le bateau. Après quelques heures de ce régime, j’ai été content de me mettre au sec dans une coque. Pas plus grande qu’un cercueil, aucune lumière, les craquements du bateau qui tape dans les vagues, il ne faut pas DU TOUT être claustrophobe.

Avant le lever du soleil, tout le monde est sur le pont, et ça mord. Des petites dorades principalement. Chaque pêcheur fait une entaille particulière sur une nageoire de ses prises pour les reconnaître au moment du partage de la pêche. À partir de 9h du matin, le soleil tape fort et malgré la chaleur, tout le monde se couvre, il n’y a pas une parcelle d’ombre sur le bateau. Nous avons pêché jusqu’à 13h, la glacière était quasiment remplie, ce qui représente environ 30kg de poisson.

Le retour s’est fait rapidement, dans le sens des vagues avec un bon vent de travers, nous surfions à toute vitesse, tout en faisant bouillir du poisson sur le pont pour le repas.
Arrivé sur la plage, plusieurs dizaines de pêcheurs nous attendaient pour voir comment le « gringo » s’en était tiré. Brûlé, fatigué, mais heureux et fier de ma vingtaine de poissons, je me voyais mal repartir en mer dans deux jours, encore moins en faire mon métier. Mais les pêcheurs de la Prainha, eux, avec un grand sourire, me disent que c’est ainsi qu’ils ont la sensation d’exister.

Contact: www.prainhadocantoverde.org

Article paru dans Pax Nouvelles (ex. Express Voyage) le 16 janvier 2006.

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *